L'émergence de l'Agroécologie





1. Introduction



COMPRENDRE L'ÉMERGENCE DE L'AGROÉCOLOGIE

Les pratiques que l’on appelle aujourd’hui agroéocologiques sont pour certaines ancestrales. Mais le concept d’agroécologie lui-même se structure dans les années 80, à la fois dans le travail de scientifiques nord-américains et dans l’engagement de mouvements sociaux de plusieurs pays d’Amérique latine.


Que s'est-il passé ?

Plusieurs agronomes et écologues engagés sur des terrains de recherche latino-américains ont cherché à construire un modèle alternatif de développement à partir d’une évaluation critique des impacts de la Révolution verte. Le plus connu d’entre eux est Miguel Altieri, un agronome d’origine chilienne enseignant à l’Université de Berkeley (Californie). Le cadre scientifique qu’ils élaborent, alternative au modèle biotechnologique, va offrir à divers acteurs sociaux déjà engagés dans des pratiques de type agrécologique un cadre de référence pour penser une alternative à l’agriculture dominante.

Répondre aux impacts de la modernisation agricole
Ainsi, dès sa naissance, l'agroécologie va réunir sous un même vocable divers types d'acteurs et courants de pensée, allant d'approches purement techniques à des approches qui engagent un modèle de société. Nous approfondirons ces diverses approches lors de la deuxième séquence. Mais ces acteurs ont un point commun : celui de chercher des réponses aux impacts négatifs de la modernisation agricole. Réponses aux impacts environnementaux quand l'agroécologie défend d'autres façons de produire, réponses aux impacts socio-économiques quand l'agroécologie se présente comme une alternative sociale, économique et politique, réponses aux impacts culturels quand l'agroécologie interroge notre vision du rapport entre l'homme et la nature.

Dans ce chapitre introductif, vous découvrirez comment l'agroécologie a émergé en réponse à trois enjeux majeurs auxquels l'agriculture est aujourd'hui confrontée : nourrir les populations, préserver l'environnement, faire face aux incertitudes (épuisement de certaines ressources, changement climatique...). Puis, nous verrons en quoi l'agroécologie apporte une réponse originale et pertinente pour relever ces défis. Enfin, nous vous présenterons les trois thèmes que nous avons choisis - environnemental, socio-économique, culturel - pour expliquer les différentes dimensions de l'émergence de l'agroécologie.


Les Enjeux

L'agroécologie a émergé autour d'une idée-clé : fonder la conception des systèmes agricoles sur la valorisation des processus écologiques. Elle apporte une réponse originale à trois grands enjeux de l'agriculture.


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CE QUE CHANGE L'AGROECOLOGIE

C'est notre manière même de concevoir la production agricole que change l'agroécologie.

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TROIS THEMES A EXPLORER

L'agroécologie a émergé en réponse aux impacts de la modernisation agricole : impacts environnementaux, impacts socio-économiques, impacts culturels.

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2. Impacts environnementaux de la modernisation agricole



Quand l'agriculture nuit à son propre avenir

Si la modernisation agricole a permis une augmentation sans précédent des rendements et de la production agricole, elle a également entraîné de nombreuses nuisances à l'environnement : l'agriculture est la cause principale de la pollution de l'eau par les nitrates, le phosphate et les pesticides, elle constitue la principale source anthropique de gaz à effets de serre et, avec la foresterie et la pêche, la principale cause de perte de biodiversité dans le monde. L'agriculture nuit également à son propre avenir par la dégradation des sols, la salinisation, le soutirage excessif d'eau et la réduction de la diversité génétique des cultures et du bétail.

Cette prise de conscience des impacts négatifs de l'agriculture sur l'environnement a pris de l'ampleur à partir des années 80 et a conduit à des évolutions marquées dans la manière de concevoir la production agricole, évolutions que nous illustrerons à travers quelques exemples.


Le bilan mitigé de la révolution verte


(extrait de la vidéo « La diversité des approches de l’agroécologie» - UVAE).

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Développement durable : une première prise de conscience


La prise de conscience de la nécessité d'intégrer les impacts environnementaux dans le raisonnement de l'activité agricole a conduit à l'émergence du concept de développement durable, popularisé par le troisième Sommet de la Terre qui s'est tenu à Rio de Janeiro en 1992.


Qu'est-ce que le développement durable ?
Il s'agit de « répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins », ceci en combinant les préoccupations économiques, sociales et environnementales.
En savoir plus sur le développement durable ICI


Début des années 2000 : le concept de serviceS écosystémiques

Une autre étape importante dans ces relations agriculture/environnement, étape sur laquelle nous reviendrons plus tard, est le Millenium Ecosystem Assessment (MEA). Cette expertise mondiale conduite sous l'égide de la FAO de 2001 à 2005 a permis de dresser un état des lieux des écosystèmes et des impacts de l'agriculture à travers le concept de service écosystémique.
Ce concept part du principe que toute personne vivant dans le monde dépend des écosystèmes de la planète et des services qu'ils procurent tels que la nourriture, l'eau, la régulation du climat, la plénitude spirituelle, les plaisirs récréatifs, etc. Comme le montre la figure ci-dessous, ces services ont été caractérisés dans différents écosystèmes et les impacts de l'agriculture sur ces services ont été évalués.



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Au service du bien-être humain 

Les services écosystémiques contribuent au bien-être humain à travers la satisfaction de nombreux besoins, de notre sécurité ou de notre santé, en passant par nos relations sociales, jusquà notre liberté de choix et d'actions.




Les flèches représentées sur ce schéma illustrent les liens les plus courants entre services écosystémiques et composantes du bien-être humain. Leur épaisseur représente l'intensité du lien, tandis que leur couleur correspond au degré d'intervention possible de facteurs socio-économique. Par exemple, s'il est possible d'acheter un produit ou service de remplacement à la place de celui attendu, l'influence des facteurs socio-économiques est faible, et la couleur des flèches est claire. On notera que l'intensité des liens et le potentiel de médiation diffèrent suivant les écosystèmes et les régions.

Explorons à présent les quatre types de supports écosystémiques : services de soutien, services d'approvisionnement, services de régulation et services culturels.


Les différents services

Les services "de support"

Les services de support (aussi appelés services d'auto-entretien) sont des services nécessaires à la production des autres services : ils créent les conditions de base au développement de la vie sur terre.

Par exemple la formation des sols ou la production d'oxygène dans l'atmosphère sont étroitement liées à des activités biologiques remontant à plusieurs millions voire milliards d'années. Ces premières activités biologiques ont permis l'établissement de la vie telle que nous la connaissons actuellement.

Ceci est valable aussi pour le recyclage des nutriments et la production primaire qui sont deux phénomènes écologiques et biogéochimiques de première importance pour la vie sur terre et totalement intégrés dans la biosphère depuis l'apparition de la vie sur terre.

Ces services, difficilement quantifiables et manipulables par l'homme, sont à la base des autres services.


Les services d'approvisionnement

Les services d'approvisionnement correspondent aux produits obtenus à partir des écosystèmes .

  • Nourriture : produits alimentaires dérivés des plantes, des animaux ou des microorganismes (par exemple, les fruits, les champignons, la pêche, la chasse).

  • Eau potable (même si l'eau nécessaire à la vie sur terre pourrait aussi être classée dans les services de support).

  • Fibres : bois, jute, coton, laine, soie ou chanvre.

  • Combustibles : bois, bouses et autres matériels biologiques servant de sources d'énergie.

  • Ressources génétiques :  gènes et informations génétiques utilisées en sélection variétale ou pour les biotechnologies.

  • Produits biochimiques ou pharmaceutiques : médicaments (antibiotiques par exemple), biocides (toxine Bt), adjuvants alimentaires (alginates).
  • Ressources ornementales : produits animaux et végétaux comme les peaux et fourrures, les coquillages et les fleurs utilisées comme ornements.

On notera que les services d'approvisionnement sont les services dont les humains ont le plus immédiatement conscience (il s'agit de produits fournis directement par les écosystèmes ou par les agroécosystèmes).


Les services de régulation

Les écosystèmes fournissent des services qui rendent la vie possible pour l'humanité. Les plantes nettoient l'air et filtrent l'eau, les bactéries décomposent les déchets, les abeilles pollinisent les fleurs et les racines d'arbres maintiennent les sols en place. Tous ces processus fonctionnent ensemble pour rendre les écosystèmes propres, durables, fonctionnels et résilients face aux changements.

Ainsi, les services de régulation permettent de modérer ou de réguler les phénomènes naturels.

Régulation du climat
Les écosystèmes influencent le climat à toutes les échelles; les changements d'usage des sols peuvent agir sur les températures et les précipitations d'une région donnée. A une échelle plus globale, ils affectent le climat en séquestrant du carbone (dans le sol ou dans la biomasse) et en émettant des gaz à effet de serre vers l'atmosphère (CO2, N2O, CH4 par exemple).

Régulation de la qualité de l'air
Les écosystèmes prélèvent des produits chimiques de l'air ou au contraire, émettent des produits chimiques vers l'atmosphère, ce qui peut influer sur la qualité de l'air.

Régulation de l'eau
Les changements d'usage des terres peuvent modifier profondément les amplitudes du ruissellement, des inondations, de la recharge des aquifères, du potentiel de stockage de l'eau.

Régulation de l'érosion
Le couvert végétal mais également les actions de bioturbation par les organismes du sol jouent un rôle important dans le contrôle de l'érosion et dans la prévention des glissements de terrain.

Régulation des maladies et des bioagresseurs
Des changements dans les écosystèmes peuvent modifier l'abondance de pathogènes humains (choléra par exemple) ou de vecteurs de maladies (comme les moustiques). D'autres changements peuvent également affecter la prévalence des bioagresseurs.

Pollinisation
La pollinisation est un service majeur pour la reproduction d'un grand nombre de végétaux. Ce service peut être perturbé par une altération des écosystèmes.

Purification de l'eau
Les écosystèmes aident à filtrer l'eau et à la débarrasser de ses impuretés; dans les sols, certains produits toxiques sont dégradés ou assimilés par les organismes.

Régulation des catastrophes naturelles
La conservation d'écosystèmes côtiers, comme les mangroves, peut réduire les dommages causés par les ouragans ou les tsunamis.


Les services culturels

L'importance des écosystèmes pour l'âme humaine se manifeste dès les temps préhistoriques, dans les dessins d'animaux et de plantes que l'on trouve sur les murs des cavernes.
Ces services peuvent être d'ordre…

  • spirituel et religieux (de nombreuses religions attachent une valeur religieuse aux écosystèmes : ainsi par exemple les "bois sacrés" en Afrique de l'Ouest),
  • traditionnels (les écosystèmes permettent le développement de connaissances),
  • éducatif,
  • esthétique,
  • écotouristique (plaisir à se déplacer dans des paysages d'intérêt),
  • patrimonial (maintien de paysages historiquement importants).


Le bilan du Millennium Ecosystem Assessment :

La nécessité de changements radicaux


Au cours des cinquante dernières années, l'Homme a modifié les écosystèmes plus rapidement et plus profondément que durant toute période comparable de l'histoire de l'humanité, en grande partie pour satisfaire une demande toujours plus grande en matière de nourriture, d'eau douce, de bois, de fibre et d'énergie, ce qui a entraîné une perte considérable et largement irréversible de diversité de la vie sur la terre.


Quatre services écosystémiques en progression, quinze en déclin
Ces changements ont permis des gains substantiels de production pour le bien-être humain et le développement économique, mais au prix d'une dégradation de nombreux services écosystémiques : sur les 24 services évalués par le Millennium Ecosystem Assessment (MEA), 4 sont en progression, 15 sont en déclin.  Si l'on n'y remédie pas, la dégradation des services écosystémiques pourrait s'accroitre de manière significative pendant la première moitié de notre siècle, avec pour effet de diminuer considérablement les avantages que les générations futures pourraient tirer des écosystèmes.

La nécessité de changements radicaux
Selon certains scénarios, inverser le processus de dégradation des écosystèmes tout en répondant aux demandes croissantes des fonctions qu'ils fournissent est un défi qui peut être partiellement relevé. Mais cela nécessite des changements importants des politiques, des institutions et des pratiques, changements qui ne sont pas en voie de réalisation.

L'agroécologie, réponse aux enjeux environnementaux
Le MEA a ainsi mis en évidence la nécessité de transformations radicales dans la manière de concevoir les systèmes agricoles de demain, en tenant compte de l'ensemble des services écosystémiques rendus à l'humanité. L'agroécologie se positionne comme une réponse à ces enjeux environnementaux et à ce changement de perspective en mettant la biodiversité au coeur du fonctionnement des agrosystème. Cela permettrait de dépasser les oppositions entre production et environnement comme le montre le schéma suivant extrait d'une autre expertise mondiale : l'IAASTD ("l'agriculture à la croisée des chemins")


(Animation issue du schéma de IAASTD, avec les explications d'Alain Ratnadass (Cirad) pour l'UVED)

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Dans la vision présentée par cette animation, l'agriculture conventionnelle est caractérisée par une forte productivité (axe des ordonnées) mais aussi par une faible durabilité (axe des abscisses), notamment sur le plan environnemental. Différentes pratiques agricoles - conservation des sols, protection intégrée, diminution des intrants chimiques - permettent d'augmenter la durabilité environnementale, au prix d'une diminution de la productivité.


3. Impacts socio-économiques de la modernisation agricole


L'Agroécologie comme alternative sociale

Bien souvent, l'agroécologie ne s'intéresse pas aux seules techniques agronomiques, mais également aux façons de s'organiser, de commercialiser ou encore de transformer les produits agricoles.  En cela, elle se veut une réponse autant aux impacts environnementaux de la modernisation agricole qu'à ses impacts socio-économiques.

Cette dimension d'alternative sociale a pris, dans le temps et dans l'espace, des figures différentes.
Nous reviendrons sur cette histoire dans les deux premiers volets de ce chapitre.

  1. Nous verrons comment l'agroécologie est née dans les mouvements militants, au Brésil, en France, et plus tard parmi les acteurs du développement international.
  2. Nous observerons comment l'agroécologie a émergé dans l'opinion publique, avec un regard marqué par la situation française.

Mais quels sont-ils, ces impacts socio-économiques qui poussent à chercher une alternative sociale ?
Véronique Lucas, sociologue, dégagera pour nous dans quatre vidéos les enjeux contemporains auxquels doivent faire face nos sociétés pour répondre aux impacts  socio-économiques de la modernisation agricole:

  1. Organiser autrement les marchés
  2. Construire des systèmes indépendants de l'agrofourniture
  3. Transformer les logiques des politiques publiques
  4. Réinventer le métier d'agriculteur


Nouvelle actualité de l'Agroécologie
A partir de la fin des années 1980, les impacts socio-économiques de l'agro-industrialisation n'ont fait que s'accentuer : nous faisons face à des évolutions nouvelles (installation des biotechnologies dans le champ de l'agriculture, crises sanitaires, risques endémiques de crises alimentaires) mais sommes également confrontés à des bouleversements majeurs dont les conséquences n'en sont qu'à leurs débuts : réchauffement climatique, épuisement des énergies fossiles, explosion démographique.

Ils sont bien sûr au cœur de l'équation qui permettrait aux différents peuples de la planète de se nourrir convenablement, de façon indépendante et en préservant durablement l'environnement.


La naissance de l'agroécologie dans les mouvements militants

L'agroécologie comprend, dès son émergence, une dimension socio-économique qui peut aller jusqu'à la définir comme mouvement social à part entière : c'est le cas en Amérique latine, et plus particulièrement au Brésil. Dès sa naissance, des militants politiques latino-américains se sont saisis du concept d'agroécologie pour penser une alternative économique et sociale à l'agriculture d'exportation. Mais d'autres acteurs à travers le monde s'inscriront eux aussi dans cette vision militante de l'agroécologie, plus particulièrement en France.


Brésil : l'agroécologie comme réponse à l'exclusion sociale

    • Dans les années soixante-dix, avant même qu'il soit question d'agroécologie, apparaît au Brésil une agriculture alternative qui se veut une réponse à l'exclusion sociale de milliers de petits agriculteurs pauvres par la révolution verte et par les logiques de la modernisation agricole. Cette modernisation s'est particulièrement épanouie dans les latifundios, ces grandes exploitations d'origine coloniale devenues des entreprises capitalistes modernes spécialisées dans l'exportation et pratiquant l'agriculture de plantation, mais aussi l'élevage extensif et, plus récemment, la culture intensive de soja.
    • Au début des années 80, diverses composantes du mouvement social brésilien se saisissent de l’agroécologie comme cadre pour penser une alternative sociale et politique (voir la vidéo ci-dessous).
    • Après l'arrivée au pouvoir du président Lula en 2003, l'agriculture écologique, reconnue par le ministère de l'agriculture depuis 1999, inspirera plusieurs réformes politiques. Il en sera de même, dans des contextes politiques différents, pour plusieurs autres pays d’Amérique latine.
    • La culture intensive du soja

Destinée à l'exportation et à l'alimentation animale, la culture du soja, souvent transgénique, a explosé au tournant du siècle, particulièrement en Argentine et au Brésil.


Alfio Brandenburg, sociologue, enseignant à l'université fédérale du Parana (Brésil), revient sur les origines de l'agriculture alternative au Brésil.


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"L'agroécologie est politique"

Avec des mouvements comme MAELA (Movimiento Agroecológico de América Latina y el Caribe) ou Via Campesina au plan mondial, l'agroécologie est devenue le point de ralliement de nombreux militants : groupements de petits producteurs, syndicats, communautés indigènes, associations rurales de femmes ou de jeunes, etc. Leur perspective est clairement politique, comme l'a réaffirmé la déclaration du Forum International sur l'Agroécologie qui s'est réuni au Mali en février 2015 : « L'agroécologie est politique ; elle nous demande de remettre en cause et de transformer les structures de pouvoir de nos sociétés. Nous devons placer le contrôle des semences, de la biodiversité, des terres et territoires, de l'eau, des savoirs, de la culture, des biens communs et des espaces communautaires entre les mains de celles et ceux qui nourrissent le monde » (pour en savoir plus, télécharger le texte complet).


France : l'exception Pierre Rahbi

Si l'Europe est pionnière en matière de labellisation des produits de l'agriculture biologique, la référence à l'agroécologie comme mouvement social et politique demeure minoritaire. L'apparition de l'agroécologie dans les discours est par ailleurs plus tardive qu'en Amérique latine, avec une exception : en France, un agriculteur se réclamant de l'agroécologie, Pierre Rahbi, a porté dès les années 70 un courant philosophique et politique alternatif se proposant de rompre avec le mythe de la croissance illimitée et de reconnecter l'humain avec la nature.

Précurseur, Pierre Rahbi rencontre néanmoins un écho limité auprès des agriculteurs français, même s'il rejoint ceux que l'on appelle les "néo-ruraux" (en savoir plus). C'est dans les villes que le mouvement des Colibris qu'il a créé, « mouvement pour la Terre et l'humanisme », trouve le plus d'adhérents.


La mobilisation des acteurs du développement international

Dès 1985, Pierre Rahbi créé également un centre de formation à l'agroécologie au Burkina Faso, dans une approche mobilisant des pratiques d'agriculture biologique et visant à l'autonomie alimentaire et économique des communautés. Son association «Terre et Humanisme » prendra le relais. Divers acteurs associatifs, des ONG, s'impliqueront dans cette mobilisation de l'agroécologie au service de la solidarité et du développement international : c'est le cas du Centre d'actions et de réalisations internationales (CARI), d'Agronomes et vétérinaires sans frontières (AVSF) ou encore d'Agrisud international.


L'émergence de l'agroécologie dans l'opinion publique

C'est dans les années 2000 que le concept d'agroécologie sort du monde scientifique et du cercle des organisations militantes pour toucher un plus large auditoire. Plusieurs facteurs se conjuguent pour expliquer cette évolution qui a permis d'une part l'entrée progressive de la thématique agroécologique dans l'opinion publique et d'autre part l'émergence d'une mobilisation de consommateurs désireux de peser dans l'organisation du système agroalimentaire.


Le « baptême » politique et médiatique de l'agroécologie

Deux évènements internationaux majeurs marquent le tournant des années 2000 et préparent le terrain européen et français à une réception de l'agroécologie : en 1992, le Sommet de la Terre de Rio (Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement) popularise la notion de développement durable et met le changement climatique et la diversité biologique à l'ordre du jour des questions politiques mondiales; en 2008, en Amérique latine, en Haïti, en Afrique et Asie, la flambée des prix alimentaires déclenche une série de crises que l'on nommera «émeutes de la faim».

C'est dans ce contexte que se fait entendre la voix d'Olivier de Schutter, juriste, universitaire belge et ancien secrétaire général de la Fédération internationale des Ligues des droits de l'homme (FIDH), nommé en mars 2008 rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l'alimentation. En mars 2011, dans son rapport annuel remis au Conseil des Droits de l'Homme, il appelle la communauté internationale à réorienter radicalement les investissements publics vers des modes de production agroécologiques, en affirmant que les rendements de ceux-ci peuvent aller jusqu'à dépasser ceux de l'agriculture conventionnelle. Cet évènement, relayé par la presse internationale, peut être considéré comme le « baptême » politique et médiatique de l'agroécologie, sous le signe des droits de l'homme et de la question de l'alimentation. Dans les colonnes du quotidien Le Monde, c'est en mars 2011, au sujet de la publication du rapport d'Olivier de Schutter, que le mot agroécologie apparait pour la première fois dans le titre d'un article (8 mars 2011, « Pour nourrir la planète, l'« agroécologie » doit remodeler l'agriculture » ).


Pour aller plus loin

Lire l'article « Les « émeutes de la faim » : du sous-investissement agricole à la crise sociopolitique », par Marc Dufumier et Philippe Hugon, Revue Tiers Monde, 2008/4 (n°296)

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La figure du consommateur-citoyen

Les façons d'acheter et de consommer des aliments représentent une véritable manière d'agir pour changer de modèle de production.
De ce constat émerge la figure du consommateur–citoyen, autre facette de l'apparition de thématiques agroécologiques dans les opinions publiques occidentales. Cette figure se concrétise au sein de diverses associations, en particulier dans la création de réseaux reliant producteurs et consommateurs. Ainsi, inspirée d'expériences japonaises et nord-américaines, la première AMAP française (association pour le maintien d'une agriculture paysanne) voit le jour en 2001.


Agroécologie et systèmes alimentaires

Dans cette figure, deux caractéristiques de l'agroécologie sont particulièrement mises en valeur : la première caractéristique est qu'elle est intimement liée aux systèmes alimentaires. Ecoutons l'analyse de Philippe Pointereau, directeur du pôle Agroécologie de Solagro, une entreprise associative qui propose une expertise dans les domaines de l'agriculture, de l'énergie et de l'environnement.


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Philippe Pointereau évoque la crise du cheval (la vente par un sous-traitant français, à des fabricants de plats cuisinés, de viande de cheval comme étant de la viande de bœuf). Les diverses crises sanitaires survenues ces dernières années ont sans conteste sensibilisé les consommateurs aux enjeux alimentaires de la production et de la transformation agricole.


Agroécologie et gouvernance participative

La deuxième caractéristique que porte la figure du consommateur–citoyen est la valorisation d'un modèle participatif : dans les Amap, par exemple, le consommateur est un acteur direct de l'économie locale. Ce modèle participatif est présent dès les origines de l'agroécologie, dans le mouvement social (ainsi par exemple des systèmes de certification participative développés au Brésil), mais aussi dans la recherche (travail commun entre agriculteurs porteurs du savoir paysan et chercheurs en agronomie).
Il ne s'agit pas là d'une simple méthode de travail, mais bien d'un changement de modèle social : l'agriculteur comme le consommateur ne sont plus dépendants d'un système industriel qui leur impose, sans leur laisser de marge de manœuvre, un « paquet technique » pour l'un, des produits agricoles transformés sans transparence pour l'autre.

Pour certains, cette appropriation de l'agroécologie par les agriculteurs et par les consommateurs à travers des dispositifs participatifs est indispensable pour éviter que l'agroécologie ne soit réduite à un «verdissement» de l'agriculture conventionnelle.


Un « verdissement » de l'agriculture conventionnelle

Selon Silvia Pérez-Vitoria, économiste et sociologue, « on fait passer tout et n'importe quoi sous le terme « agroécologie ». J'ai même entendu récemment un agriculteur industriel qui expliquait très clairement « J'ai toujours fait de l'agroécologie, je fais de l'agroforesterie (...), je recycle, j'utilise très peu d'intrants de synthèse, je fais de l'agriculture de précision, je fais du semis direct ». Et justement, si l'on en reste aux questions techniques, on peut mettre tout et n'importe quoi (sous le terme agroécologie)» (source : UVED)


La durabilité environnementale entre dans l'agenda politique français

En France, c'est à Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture, que l'on doit l'institutionnalisation de l'agroécologie à travers la loi du 13 octobre 2014, « loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt ». A côté de mesures visant à limiter l'usage des pesticides, à juguler la disparition des terres agricoles et l'agrandissement des exploitations ou encore à sanctionner le trafic du bois, la loi crée les groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE), collectifs d'agriculteurs qui pourront bénéficier d'aides publiques supplémentaires s'ils mettent en place des pratiques agroécologiques. Elle redéfinit également les objectifs de l'enseignement agricole technique et supérieur, avec l'ambition d'apprendre à « produire autrement ».


A lire : un court extrait de la loi du 13 octobre 2014

 « Les politiques publiques visent à promouvoir et à pérenniser les systèmes de production agroécologiques, dont le mode de production biologique, qui combinent performance économique, sociale, notamment à travers un haut niveau de protection sociale, environnementale et sanitaire.

Ces systèmes privilégient l'autonomie des exploitations agricoles et l'amélioration de leur compétitivité, en maintenant ou en augmentant la rentabilité économique, en améliorant la valeur ajoutée des productions et en réduisant la consommation d'énergie, d'eau, d'engrais, de produits phytopharmaceutiques et de médicaments vétérinaires, en particulier les antibiotiques. Ils sont fondés sur les interactions biologiques et l'utilisation des services écosystémiques et des potentiels offerts par les ressources naturelles, en particulier les ressources en eau, la biodiversité, la photosynthèse, les sols et l'air, en maintenant leur capacité de renouvellement du point de vue qualitatif et quantitatif. Ils contribuent à l'atténuation et à l'adaptation aux effets du changement climatique.

L'Etat encourage le recours par les agriculteurs à des pratiques et à des systèmes de cultures innovants dans une démarche agroécologique. A ce titre, il soutient les acteurs professionnels dans le développement des solutions de biocontrôle et veille à ce que les processus d'évaluation et d'autorisation de mise sur le marché de ces produits soient accélérés.

L'Etat facilite les interactions entre sciences sociales et sciences agronomiques pour faciliter la production, le transfert et la mutualisation de connaissances, y compris sur les matériels agricoles, nécessaires à la transition vers des modèles agroécologiques, en s'appuyant notamment sur les réseaux associatifs ou coopératifs. »

Extrait de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt


L'agroécologie est-elle compatible avec la compétitivité ?

Cette institutionnalisation pourrait-elle faire perdre à l'agroécologie sa force de transformation sociale ? C'est ce que craignent certains, prenant pour exemple une agriculture biologique qui serait dévoyée par les contraintes de la grande distribution. Ainsi, dans un communiqué de presse du 30 janvier 2015, la Confédération paysanne dénonce un texte qui porterait, « en germe, le risque de fournir un label « agro-écologique » à tous (...)». Et de poursuivre : « L'ambition agro-écologique ne peut voisiner avec des politiques publiques qui favorisent la « compétitivité », l'industrialisation, l'exclusion des fermes petites ou diversifiées (...)».

Pour Stéphane Le Foll au contraire, agroécologie et compétitivité sont pleinement compatibles. "Ne caricaturons pas en considérant qu'une agriculture ‘ vertueuse ‘ s'oppose à une agriculture 'productiviste', déclarait-il en février 2013 dans une interview à la revue Projet (n°332). Cessons d'opposer économie et environnement : nous devons à la fois augmenter notre niveau de production et préserver les ressources."

C'est sur ce même thème de la "double performance" que le ministre de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt s'exprimait devant l'Assemblée nationale en introduisant le 7 janvier 2014 l'examen de la loi d'avenir sur l'agriculture (vidéo ci-dessous).



Pour aller plus loin


On découvrira également dans la vidéo suivante les cinq objectifs du tableau de bord agroécologie, présentés par le ministre lors d'un colloque organisé par l'INRA en 2013.



Une transition sociale et economique

Comment l'agroécologie peut-elle se penser comme une transition non seulement agronomique mais aussi sociale et économique ? Structuration des exploitations agricoles qui rend possible la biodiversité, organisation de circuits commerciaux qui n'isole pas les petits producteurs, économie de la production qui ne pousse pas à l'utilisation d'intrants, métier d'agriculteur qui ne soit pas synonyme de paupérisation... : ces quelques exemples illustrent la dimension holistique de l'agroécologie.

Afin de mieux comprendre ces enjeux socioéconomiques, avec Véronique Lucas, sociologue, nous allons nous arrêter sur quatre défis auxquels nous devons faire face pour répondre aux impacts  socio-économiques de la modernisation agricole :
1- Organiser autrement les marchés
2- Construire des systèmes indépendants de l'agrofourniture
3- Transformer les logiques des politiques publiques
4- Réinventer le métier d'agriculteur.

La dimension holistique : Point de vue qui consiste à considérer les phénomènes comme des totalités


Organiser autrement les marchés


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Construire des systèmes indépendants de l'agrofourniture


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Transformer les logiques des politiques publiques


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Réinventer le métier d'agriculteur


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Réinventer le métier d'agriculteur : deux points de vue complémentaires

Michel Griffon, économiste (Cirad) : "Le métier d'agriculteur va devenir beaucoup plus intellectuel que par le passé". Voir la vidéo ci-dessous (source : UVED).


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Marc Dufumier, agronome (AgroParisTech) :" (Il faut) autoriser les paysans à sélectionner eux-mêmes les variétés et à les échanger entre eux"Voir la vidéo ci-dessous (source : UVED).


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4. Impacts culturels de la modernisation agricole



Gestionnaires de la nature

La modernisation agricole s'est appuyée sur un certain type de relation à l'environnement : l'homme occidental moderne se donne un rôle de gestionnaire de la nature, un gestionnaire positionné au centre du monde. Aujourd'hui, ce modèle de relations entre l'homme et la nature est remis en question : l'agroécologie est une illustration des évolutions en cours.

Les années 50 : l'agriculture rationalisée

Notre point de départ sera l'agriculture de l'après seconde guerre mondiale, soit les années 1950.
A cette période, en France, les enjeux sont à l'autosuffisance alimentaire. L'agriculture a bénéficié de progrès technologiques indéniables et de recherches sur la chimie effectuées durant la guerre. L'objectif est à la performance de production.
Pour atteindre cet objectif, l'agronomie se développe comme une science « problem-oriented » . Les agrosystèmes sont considérés comme stables grâce à leur rationalisation et à la réduction de la diversité de l'environnement (traitement ou disparition des bords de champs, développement des monocultures...). Les sciences agronomiques se sont spécialisées et orientées vers un réductionnisme transformant les questions complexes en objets monodisciplinaires (source : Refonder la recherche agronomique, 193-226, in Chevassus-au-Louis, Les défis de l'agriculture au XXI° siècle. Les leçons inaugurales du groupe ESA, 2006).

La nature comme ressource à gérer

Cette agriculture productiviste va de pair avec une vision gestionnaire de la « nature », vision fondée sur une approche techniciste c'est-à-dire en accordant à la technique et à la technicisation une place prédominante. L'objectif est de contrôler un environnement, lui-même assimilé à une ressource. En outre, l'homme occidental considère être au centre de l'univers.
L'agriculture d'après-guerre est donc liée à une certaine vision du monde. Sa réussite est possible si la nature est considérée comme un ensemble de ressources au service de l'humain, ressources que celui-ci doit gérer et dont, au mieux, il doit prendre soin. Mais cela induit le fait que l'humain se distingue de l'environnement, justement pour pouvoir le gérer. C'est ce qu'on appelle la séparation homme/nature.

L'agriculture, reflet des choix culturels d'une société

L'agriculture n'est qu'un élément parmi d'autres reflétant les choix culturels d'une société. La façon dont nous nous représentons le monde est une construction  : ainsi, en sciences sociales, les processus qui nous permettent de donner du sens au monde sont appelées “représentations”. Ces représentations sont spécifiques à chaque culture et, dans ce cadre, nos pratiques sont influencées par l'idée que nous nous faisons de notre environnement. Les représentations individuelles et collectives constituent le fondement de notre rapport au monde. En d'autres termes, la façon dont nous nous représentons le monde oriente quotidiennement la société, dans tous les domaines.


Qu'est-ce qu'une représentation sociale ?

Selon la psychosociologue Denise Jodelet (Les représentations sociales, PUF, 1994, pp.36-37), les représentations sociales sont « une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d'une réalité commune à un ensemble social ». Les représentations sont donc des constructions qui donnent du sens au monde dans lequel vivent les individus.

Les représentations dépendent de nos perceptions qui suggèrent le fait de se saisir d'un objet par les sens (visuel, auditif, tactile) ou par l'esprit (opération mentale). Elles sont donc influencées à la fois par nos perceptions corporelles (une couleur que nous aimons ou pas lorsqu'on entre dans une pièce, une odeur qui fait référence à du plaisir ou à du dégoût...) et par notre raisonnement.

Trier les informations  en fonction de normes et de critères culturels

Lorsqu'une représentation se créée, deux processus se mettent en oeuvre : « l'objectivation », avec la constitution d'un noyau figuratif, puis « l'ancrage ». Ils ont été décrits par Moscovici (La Psychanalyse, son image et son public, PUF,1961). Nous n'allons pas entrer dans le détail des processus. Une seule étape sera soulignée, celle du processus d'objectivation qui permet aux gens de s'approprier et d'intégrer des phénomènes ou des savoirs complexes. Cette étape comprend le tri des informations en fonction de critères culturels et surtout normatifs, ce qui signifie qu'une partie des informations est exclue. L'ensemble des représentations sociales se construit ensuite à partir des éléments sélectionnés, dans une élaboration collective de références acceptées par tous.

Travailler sur les représentations doit permettre de prendre conscience du choix opéré dans le tri initial des informations et de sa relativité. Une autre société aura effectué d'autres choix et aura abouti à une autre culture, à d'autres valeurs, savoirs et pratiques sur la base d'informations triées différemment. Enfin, en plus de ces processus, les représentations sont une combinaison de l'inconscient collectif de la société d'appartenance avec la culture familiale, technique, sociale, etc, d'un individu (Sylvie Sens et Véronique Soriano, Parlez-moi d'élevage : analyse de représentations d'éleveurs : livret méthodologique,  2001).
Pour aller plus loin sur les représentations d'acteurs autour d'un enjeu agroenvironnemental : http://webdocs.cdrflorac.fr/logique_d_acteurs/#Methodologie

Un exemple de représentation

Prenons l'exemple des représentations de la femme : elles varient selon les époques, les régions du monde, les milieux sociaux. L'image de l'idéal féminin est bien une construction sociale.

A gauche : la Vénus de Lespugue (- 26  000 à – 24 000 ans av. JC).  A droite : une poupée Barbie.



Ces images renvoient à deux représentations de la féminité. Les canons préhistoriques valorisaient une fertilité généreuse, signe de survie de la société. La poupée Barbie renvoie, elle, à une société occidentale offrant à ceux qui réussissent socialement l’accès aux loisirs et à une alimentation équilibrée, leur permettant d'obtenir un corps sportif, mince et bronzé.
Ainsi, la beauté d’une femme en -25 000 avant JC ou la beauté dans nos sociétés occidentales n’est pas la même parce qu’elle répond à une construction sociale différente. Cette dernière est élaborée en privilégiant certains critères, choix basés sur de représentations : de la nourriture, des activités physiques, de la santé, de la fertilité, de la richesse, etc.


Histoire des relations homme-nature

De la Grèce antique jusqu'aux Lumières, l'Occident a séparé l'homme de la nature. Ainsi, avec le développement de l'écriture se diffuse un regard distancié sur la nature : celle-ci devient objet d'observation rationnelle. Le mouvement se poursuit en Occident avec la généralisation d'un regard qui considère la nature comme mise à disposition de l'homme.

En Europe, le XVIè siècle est le siècle de l'humanisme, mouvement intellectuel qui renoue avec la civilisation gréco-latine et manifeste un vif appétit de savoir, visant l'épanouissement de l'homme, rendu plus humain grâce à la culture. L'homme se place au centre du monde et regarde l'univers depuis cette place. Ce mouvement se poursuit avec la période des Lumières et le cartésianisme. La nature est réduite à une mécanique dont on peut expliquer les lois.

La séparation homme/nature relativisée

Mais, en  Occident, depuis quelques années, cette dichotomie homme/nature est remise en question. Certains auteurs ont constaté que les frontières entre ce qui est considéré comme « naturel » et ce qui vu comme « culturel » ne sont plus aussi nettes. En effet, une plante dont les gènes ont été modifiés peut-elle être qualifiée de «naturelle » ? Et une vache qui mange des farines animales ?
En outre, la valorisation dans notre société d'autres façons de voir le monde, et notamment de sociétés pour lesquelles le mot « nature » lui-même n'existe pas puisque les humains sont totalement intégrés à cette nature, relativise notre vision occidentale.
Pour aller plus loin, écouter l'émission Autour de la question (RFI). Caroline Lachowsky reçoit Stéphane Ferret, docteur en philosophie et consultant d'entreprise pour tenter de répondre à la question : « Comment repenser notre rapport à la nature ? ».

La redécouverte des savoirs locaux

La relativisation de notre regard sur le monde comme unique vérité amène à nous intéresser à d'autres cultures. Ainsi, en complément de solutions strictement scientifiques aux problèmes environnementaux, on se penche sur ce qui pourrait offrir des pistes nouvelles : la société (si tant est qu'il existe une Société unique, mais nous utiliserons ce terme dans un souci de simplification) se tourne alors vers les savoirs « locaux ».
Ce mouvement va de pair avec la redécouverte des savoirs locaux comme permettant la protection de la biodiversité, notamment à l'occasion de la conférence de Rio (Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement), en 1992.


De l'article 8j de la Convention de la Diversité Biologique (article intitulé  “Traditional Knowledge, Innovations and Practices") jusqu'au « Programme Savoirs Locaux » de la Banque Mondiale en passant par la création en 1994 d'une section permanente sur les peuples indigènes au sein de l'Organisation Internationale des Évaluations d'Impact (IAIA), les décideurs multiplient les recommandations pour, afin de leur assurer efficience et durabilité, baser les processus de développement économique sur les pratiques des communautés locales. 


Les travaux d'ethnoscience (qu'est-ce que l'ethnoscience?) sont eux aussi redécouverts pour tenter d'y trouver des pistes pour une gestion plus respectueuse de l'environnement, sans toutefois réduire ces savoirs à des « recettes » décontextualisées du milieu qui a permis leur existence, comme le soulignent de nombreux auteurs. Cette situation rejoint tous les travaux d'agronomie qui ont démontré l'intérêt empirique de prendre en compte les connaissances issues de la pratique.


Agroécologie : La nature comme partenaire

Nous le verrons lors de notre deuxième séquence : l'agroécologie ne recouvre pas une seule définition. Mais aussi diverses soient-elles, les approches agroécologiques questionnent toutes des pratiques négligeant les enjeux environnementaux.

Beaucoup d'acteurs soulignent qu'en agroécologie, la place de l'agriculteur change. De technicien appliquant des recettes chimiques, il devient un acteur retrouvant confiance en son sens de l'observation des agroécosystèmes. Avec la réintroduction de la complexité et de l'incertitude dans les agrosystèmes apparaît un fort enjeu : il s'agit de faire place à la biodiversité dans les fermes, d'accepter les éléments naturels comme partenaires de l'acte de production, d'abandonner la volonté d'une maîtrise totale de tous les éléments de production. L'aléa n'est plus quelque chose à éliminer mais devient constitutif d'une situation.


Un autre rapport au savoir

L'agriculteur retrouve ainsi un peu de proximité avec les éléments naturels et leur laisse plus de marge de manœuvre, afin de « faire avec eux ». Des savoirs se construisent dans la proximité avec les éléments naturels, dans la relation de partenariat entretenue entre chaque agriculteur et les éléments naturels. On parle d'écosavoirs (Anne Moneyron, Transhumance et éco-savoirs, L'Harmattan, 2003).

Sur ces bases, certains courants d'agroécologie participent à une réflexion sur nos liens à la « nature» (dans quelle mesure acceptons-nous de « laisser la main » aux éléments naturels ?) et sur nos liens aux savoirs et à leur construction, dans l'interaction avec les éléments naturels. Aujourd'hui, les savoirs d'origine académique et les savoirs d'origine empirique sont hybridés. La science n'a plus le monopole de l'information, mais les praticiens agricoles y puisent leur inspiration, pour inventer de nouvelles pratiques.

VIDEO
"La nature comme partenaire", par Aurélie Javelle, ethnologue.


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Pour en savoir plus

  • Sur les relations aux "objets de nature" : vidéo de la conférence Agropolis Fondation donnée par Aurélie Javelle, en mai 2015 : "Les relations aux objets de nature dans l'écologisation de l'agriculture : un regard ethnologique".
  • Sur l'agriculture rationalisée : Nathalie Girard, Quels sont les nouveaux enjeux de gestion des connaissances ? L'exemple de la transition écologiques de systèmes agricoles, Revue internationale de psychologie et de gestion des comportements organisationnels, 2014, 49, 51-78.

  • Sur la séparation de l'homme et de la nature en Occident : Sabine Rabourdin, Replanter les consciences, une refondation de la relation homme/nature, Yves Michel, 2012.

  • Sur les relations entre science et société concernant les enjeux environnementaux : Jacques Theys et Bernard Kalaora, La Terre outragée, Diderot Multimédia, 1992.








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D'autres documents sur l'agroécologie ICI


Qu'est-ce-que l'agroécologie